La chambre de la Reine

 

LA moitié de la nuit s’était écoulée avant que la Reine ne parût. La Belle s’était assoupie, puis éveillée sans cesse, pour se trouver à nouveau enchaînée dans la chambre décorée, comme dans un cauchemar. Elle était liée au mur, les chevilles menottées de cuir, les poignets au-dessus de la tête, les fesses calées contre la pierre froide derrière elle.

Tout d’abord, le contact de la pierre lui avait paru agréable. De temps à autre, elle se tournait pour que l’air soulage son irritation. En fait, ses chairs écorchées étaient pour ainsi dire guéries depuis le supplice de la nuit précédente sur le Sentier de la Bride abattue, mais elle souffrait encore, et elle savait, ce soir, qu’on la destinait à des tourments supplémentaires.

Le moindre de ceux-ci, toutefois, n’était pas sa propre passion. Qu’est-ce que le Prince avait éveillé en elle après une nuit sans assouvissement, pour qu’elle se sente si dévergondée ? Il y avait eu d’abord cette sensation d’étirement entre les jambes qui l’avait sortie de son sommeil dans la Salle des esclaves, et qu’elle ressentait de temps à autre, là, debout, éveillée.

La pièce elle-même était plongée dans la pénombre et dans un calme que rien ne troublait. De grosses chandelles brûlaient par dizaines sur leurs candélabres lourds dorés, et la cire s’écoulait en rigoles entre les nervures d’or. Le lit, avec ses draperies brodées, avait l’air d’une caverne béante.

La Belle ferma les yeux, puis les rouvrit. Et, de nouveau au seuil d’un rêve, elle entendit les lourdes doubles portes s’ouvrir et, soudain, vit la haute et mince silhouette de la Reine prendre corps devant elle.

La Reine s’avança jusqu’au milieu du tapis. Sa robe de velours bleu, fendue sur ses hanches et soulignée d’une ceinture, s’épanouissait légèrement pour venir recouvrir ses pantoufles noires et pointues. Elle observait la Belle de ses yeux en amande noirs et étroits, qui lui donnaient une expression cruelle, puis elle sourit, ses joues pâles creusées de fossettes, qui, un instant auparavant, avaient paru dures comme porcelaine.

La Belle avait aussitôt baissé les yeux. Pétrifiée, elle observa, à la dérobée, la Reine s’éloigner d’elle et prendre place à une coiffeuse ornementée, dos à un haut miroir.

D’un geste désinvolte, elle signifia leur congé aux Dames qui se tenaient à la porte. Un personnage demeura là, et la Belle, qui avait peur de regarder, était sûre qu’il s’agissait du Prince Alexis.

Ainsi son tourmenteur était venu, songea la Belle. Son cœur battait à ses oreilles, plus un rugissement qu’une pulsation, et elle sentit ses liens l’entraver, la laissant sans recours, incapable de se défendre contre rien ni personne. Ses seins étaient lourds, et l’humidité entre ses jambes la perturbait grandement. La Reine le découvrirait-elle et en userait-elle pour la punir à nouveau ?

Pourtant, mêlée à sa peur, il y avait cette sensation de dénuement qui l’avait gagnée la nuit précédente et qui ne l’avait plus quittée. Elle savait comment elle devait se présenter, elle avait peur, mais elle n’y pouvait rien et elle l’acceptait.

Peut-être était-ce une nouvelle force, cette acceptation. Et elle avait besoin de toute sa force, car elle était seule avec cette femme qui n’éprouvait aucun amour pour elle.

Elle laissa remonter en elle le souvenir de l’amour du Prince, des attouchements affectueux de Dame Juliana, de ses paroles chaleureuses de louange, et même celui des mains caressantes de Léon.

Mais cette fois il s’agissait de la Reine, la Reine grande et puissante qui gouvernait tout et qui n’éprouvait pour elle que froideur et fascination.

Elle frissonna, contre sa volonté. La pulsation entre ses jambes lui parut s’apaiser, avant de croître encore un peu en intensité. À n’en pas douter, la Reine la dévisageait. Or la Reine pouvait la faire souffrir. Et il n’y aurait aucun Prince pour en être témoin, aucune Cour, personne.

Rien que le Prince Alexis.

Elle le voyait à présent, surgi de la pénombre, une silhouette nue, de proportions exquises, sa peau d’or sombre lui donnant l’apparence d’une statue brillante.

— Du vin, demanda la Reine.

Et il s’avança pour la servir.

Il s’agenouilla à côté d’elle, plaça la coupe à deux anses dans ses mains, et, tandis qu’elle buvait, la Belle leva les yeux et vit le Prince Alexis lui sourire, droit dans les yeux.

Elle fut si déroutée qu’elle en lâcha presque un petit halètement. Ses grands yeux marron étaient pleins de cette même expression d’affectueuse douceur qu’il lui avait témoignée la nuit précédente, lorsqu’il était passé près d’elle à la table du banquet. Puis il forma un baiser silencieux de la bouche, avant que la Belle ne détourne le regard, désemparée.

Ressentait-il de l’affection pour elle, une véritable affection, et même du désir, comme le désir qu’elle ressentait pour lui depuis la première fois qu’elle l’avait vu ?

Oh, comme elle languissait soudain de le toucher, de sentir, ne serait-ce qu’un instant, le contact de cette peau soyeuse, de cette poitrine ferme, de ces tétons sombres et rosés. Comme ils étaient délicieux, sur cette poitrine plate, ces petits nodules à l’air si peu masculin, lui donnaient un soupçon de vulnérabilité féminine. Comment la Reine les punissait-elle ? se demanda-t-elle. Étaient-ils toujours crochetés et ornés, comme les siens l’avaient été ?

Ils étaient piquants, ces petits tétons.

Mais la pulsation entre ses jambes lui lança un avertissement, et il lui fallut faire preuve de volonté pour ne pas remuer les hanches.

— Déshabillez-moi, fit la Reine.

Et, à demi cachée derrière les montants du lit presque aussi gros que des mâts, la Belle regarda le Prince Alexis obéir à cet ordre avec adresse et doigté.

Comme elle s’était montrée maladroite deux nuits auparavant, et de quelle patience le Prince avait fait preuve à son égard.

Il se servait de ses mains, mais à peine. Sa première tâche fut, avec les dents, de défaire les agrafes de la robe de la Reine, ce qu’il fit, en la pliant prestement dès qu’elle glissa à ses pieds.

La Belle fut abasourdie de découvrir, sous une fine chemise de dentelle, les seins blancs et pleins de la Reine. Puis le Prince Alexis retira la mante ornée de soie blanche pour dévoiler la chevelure noire de la Reine qui cascadait librement sur ses épaules.

Il alla déposer ces atours.

Puis il revint pour ôter les pantoufles de la Reine avec ses dents. Il baisa le pied nu avant de s’emparer des souliers et d’aller les ranger, hors de vue ; sur ce, il rapporta une chemise de nuit diaphane, d’une étoffe chatoyante de couleur crème, rehaussée de dentelle blanche. Elle était très gonflée et froncée de milliers de plis.

Lorsque la Reine se leva, le Prince Alexis tira vers le bas la chemise qu’elle portait, et, se dressant de toute sa taille, il enfila la chemise de nuit sur les épaules de la Reine. Elle glissa les bras dans les manches sac aux plis profonds, et le vêtement tomba autour d’elle comme une cloche.

Alors, dos à la Belle, le Prince Alexis, de nouveau à genoux, noua une dizaine de petits rubans blancs qui fermaient la robe sur le devant jusqu’aux pieds, au-dessus du cou-de-pied dénudé de la Reine.

Comme il se penchait pour nouer le dernier, les mains de la Reine jouèrent nonchalamment avec ses cheveux brun-roux, et la Belle se surprit à regarder ses fesses rouges, à l’endroit où on l’avait récemment châtié. Ses cuisses, ses mollets fermes, raidis, tout ceci l’enflamma.

— Tirez les rideaux du lit, fit la Reine. Et amenez-la-moi.

Le pouls de la Belle l’assourdissait. Ses oreilles, sa gorge lui semblaient comprimées. Pourtant, elle entendit le bruit des tapisseries que l’on ouvrait. Elle vit la Reine s’étendre sur le couvre-lit au milieu d’un nid de coussins de soie. La Reine paraissait plus jeune avec ses cheveux libres, et son visage ne portait aucune trace d’âge, tandis qu’elle fixait la Belle du regard. Ces yeux étaient aussi placides que s’ils avaient été peints au vernis sur son visage.

Puis la Belle vit le Prince Alexis devant elle, et fut parcourue d’une onde de plaisir indésirable. Il lui masquait la vision de cette Reine menaçante. Il s’inclina pour lui dénouer les chevilles et elle sentit ses doigts la caresser de propos délibéré. Lorsqu’il se releva devant elle, les mains levées pour lui libérer les poignets, elle huma le parfum de sa chevelure et de sa peau, et il était comme rempli de sève. En dépit de toute la fermeté et de toute la solidité de sa stature, il lui apparut d’une délicatesse piquante, et elle se surprit à le fixer droit dans les yeux. Il sourit et amena ses lèvres contre le front de la Belle. Elles se tinrent là, secrètement pressées contre son front, jusqu’à ce que ses poignets fussent tout à fait libres, et qu’il les tienne.

Puis il la fit se mettre gentiment à genoux et désigna le lit.

— Non, amenez-la-moi simplement, rectifia la Reine.

Le Prince Alexis souleva la Belle et la bascula sur son épaule avec autant de facilité qu’un Page, ou que le Prince lui-même quand il l’avait enlevée au château de son père.

Elle sentit sa chair chaude sous elle, et, ainsi jetée en travers de son dos, elle embrassa hardiment ses fesses endolories.

Puis on l’étendit sur le lit et elle se rendit compte qu’elle se trouvait à côté de la Reine, les yeux levés sur les siens, tandis que la Reine, qui se tenait sur un coude, baissait le regard sur elle.

Le souffle de la Belle se déroba en brefs halètements. La Reine lui parut imposante. Et elle percevait à présent toute sa ressemblance avec le Prince, à ceci près que, comme toujours, la Reine avait un air infiniment plus froid. Pourtant, il y avait dans sa bouche rouge quelque chose que jadis on aurait pu prendre pour de la douceur. Elle avait des cils fournis, un menton ferme, et, quand elle souriait, des fossettes apparaissaient sur ses joues. Son visage était en forme de cœur.

Troublée, la Belle ferma les yeux, se mordant la lèvre si fort qu’elle aurait pu l’entailler.

— Regardez-moi, ordonna la Reine. Je veux voir vos yeux, comme de juste. Je ne veux pas de votre modestie, me comprenez-vous ?

— Oui, Majesté.

Elle se demanda si la Reine pouvait entendre le battement de son cœur. Le lit était d’un doux contact, les coussins étaient doux aussi, et elle se surprit à fixer du regard les seins larges de la Reine, le cercle sombre d’un téton sous la robe, avant de soutenir à nouveau le regard de la souveraine, avec obéissance.

Une onde de choc la traversa de part en part, et se noua au creux de son ventre.

Véritablement, la Reine l’étudiait, très absorbée. Entre ses lèvres, ses dents étaient d’un blanc éclatant et parfait, et ses yeux, bridés, effilés, étaient noirs au centre et ne révélaient rien.

— Asseyez-vous là, Alexis, dit la Reine sans détourner le regard.

Et la Belle le vit prendre place au pied du lit, les bras croisés sur la poitrine, le dos contre le montant du lit.

— Mon petit jouet, fit la Reine à la Belle, dans un souffle. Maintenant, je comprends peut-être pourquoi Dame Juliana est si éprise de vous.

Elle laissa courir sa main sur le visage de la Belle, sur ses joues, sur ses paupières. Elle pinça la bouche de la Belle. Elle lui lissa les cheveux, et puis elle lui gifla les seins, de droite à gauche, encore et encore.

La bouche de la Belle trembla sans émettre aucun son. Elle tint ses mains tranquilles, le long de son corps. La Reine était comme une lumière qui menaçait de l’aveugler.

Rien que d’y songer, étendue là, si près de la Reine, elle serait submergée par la terreur.

La main de la Reine descendit vers son ventre et ses cuisses. Elle pinça la chair de ses cuisses, puis le dos de ses jambes, à hauteur des mollets. Et, malgré elle, partout où on la touchait, la Belle ressentait un fourmillement, comme si cette main détenait un redoutable pouvoir. Tout soudain, elle éprouvait de la haine pour la Reine, plus violente encore que celle qu’elle avait éprouvée pour Dame Juliana.

C’est alors que la Reine se mit à examiner, avec lenteur, les tétons de la Belle. Les doigts de sa main droite tordaient le téton dans un sens, puis dans l’autre, mettant à l’épreuve le tendre cercle de chair qui l’entourait. Le souffle de la Belle se fit inégal, et elle sentit une moiteur entre ses jambes, comme si on y avait pressé le jus d’un grain de raisin.

La Reine lui paraissait d’une taille surnaturelle, aussi forte qu’un homme, ou bien était-ce qu’il était tout simplement impensable de lutter contre la souveraine ? La Belle s’efforça de retrouver un peu son calme, de repenser à ce qu’elle avait ressenti sur le Sentier de la Bride abattue, mais cela lui échappait Cette impression était demeurée fragile. À présent, elle avait disparu.

— Regardez-moi, lui enjoignit de nouveau la Reine avec douceur, et la Belle s’aperçut, en levant les yeux, qu’elle pleurait. Écartez les jambes, ordonna la Reine.

La Belle obéit sur-le-champ. Maintenant, elle va voir, se dit la Belle. Ce sera aussi dur que lorsque Sire Grégoire a vu. Et le Prince Alexis va voir lui aussi.

La Reine rit.

— J’ai dit : « écartez les jambes », répéta-t-elle, et elle infligea des gifles féroces et cinglantes aux cuisses de la Belle.

La Belle écarta plus largement les jambes, dans une posture qui la fit se sentir sans grâce. Lorsqu’elle avait eu les genoux enveloppés contre le couvre-lit, elle s’était dit qu’elle ne pourrait supporter cette ignominie. Elle fixa du regard le plafond à caissons du lit au-dessus d’elle et se rendit compte que la Reine lui ouvrait le sexe, comme Léon l’avait fait. La Belle se mordit la lèvre pour réprimer ses cris. Et le Prince Alexis fut témoin de tout cela. Elle se rappela ses baisers, ses sourires. Les lumières de la pièce frémirent, et elle perçut son frisson quand les doigts de la Reine vinrent goûter la moiteur de ce lieu secret si exposé, jouant avec les lèvres du pubis de la Belle, lissant sa toison pubienne, pour finalement se saisir d’une boucle, tirer dessus et la taquiner.

Il lui sembla que la Reine usait de ses deux pouces pour l’ouvrir de force. Elle s’efforça de tenir ses cuisses tranquilles. Elle aurait voulu se lever pour s’enfuir, comme cette misérable Princesse de la Salle d’Apprentissage qui ne pouvait supporter d’être ainsi examinée. Pourtant elle ne protesta pas ; ses geignements étouffés étaient hésitants.

La Reine lui ordonna de se retourner.

Dissimulation bénie, elle put se cacher le visage dans les coussins.

Mais à présent ces mains fraîches et impérieuses jouaient avec ses fesses, les ouvrant, touchant son anus. Oh, je vous en prie, se dit-elle avec désespoir, et elle savait que ses épaules étaient secouées par ses larmes silencieuses. Oh, c’est horrible, horrible !

Avec le Prince, finalement, elle savait ce que l’on désirait.

Sur le Sentier de la Bride abattue, finalement, on lui avait dit ce qu’on désirait. Mais que lui voulait-elle, cette Reine méchante, qu’elle souffre, qu’elle rampe, qu’elle souffre ou qu’elle subisse, tout simplement ? Cette femme la méprisait !

La Reine lui massa les chairs, les aiguillonna, les palpa, comme pour voir si elles avaient du corps, de la douceur, de la souplesse. De la même manière, elle tâta les cuisses de la Belle puis lui écarta si largement les genoux que ses hanches se soulevèrent et elle se sentit ramassée, écartelée sur le couvre-lit, le sexe saillant suspendu en l’air, les fesses scindées en deux d’un geste assuré, au point de la faire ressembler à un fruit mûr.

La main de la Reine était au-dessous de son sexe, comme pour le soupeser, pour palper sa rondeur et ses lèvres charnues, pour les pincer.

— Cambrez le dos, fit la Reine, et levez les fesses, petite chatte, petite chatte en chaleur.

La Belle obéit, ses yeux inondés de larmes honteuses. Elle tremblait violemment en inspirant profondément, et elle sentit que, contre sa volonté, les doigts de la Reine commandaient à sa passion, en exprimant toute la flamme, à la rendre plus brûlante. Comment le nier, les lèvres de la Belle étaient gonflées, ses sucs se répandaient, même si elle se défendait amèrement contre ces sensations.

Elle ne voulait rien donner à cette femme mauvaise, à cette sorcière de Reine. Au Prince, elle céderait ; à Sire Grégoire, aux Seigneurs et aux Dames sans nom et sans visage qui l’accablaient de compliments, mais à cette femme qui la méprisait… !

La Reine s’était adossée sur le lit à côté de la Belle, et, vivement, elle la prit dans ses bras, comme une poupée de chiffon, puis elle la mit à cheval sur ses genoux, le visage détourné du Prince Alexis, les fesses encore exposées à son exploration, forcément.

La Belle lâcha un gémissement, la bouche ouverte, ses seins frottaient contre le couvre-lit, son sexe palpitant contre la cuisse de la Reine. Elle était comme un jouet entre les mains de la Souveraine.

Oui, c’était exactement comme d’être un jouet, sauf qu’elle était vivante, elle respirait, elle souffrait. Elle pouvait imaginer comment elle apparaissait aux yeux du Prince Alexis.

La Reine lui souleva la chevelure. Elle laissa courir un doigt le long du dos de la Belle jusqu’à l’extrémité de sa colonne vertébrale.

— Tous les rituels, s’écria la Reine à voix basse, le Sentier de la Bride abattue, les poteaux dans le jardin, les roues, et puis la Chasse dans le Labyrinthe, et tous ces jeux pleins d’esprit inventés pour mon plaisir, mais est-ce que je connais un esclave avant d’avoir cette intimité avec l’esclave, l’intimité de l’esclave sur mes genoux, prêt au châtiment ? Dites-moi, Alexis. La fesserai-je seulement avec la main afin de prolonger notre intimité ? Sentirai-je sa chair brûlante, sa chaleur, en la regardant changer de couleur ? Me servirai-je de mon miroir à monture d’argent, ou d’un battoir choisi parmi la dizaine que je possède, tous excellents pour cet office ? Que préférez-vous, Alexis, quand vous êtes sur mes genoux ? Qu’espérez-vous donc quand vous pleurez ?

— Vous pourriez vous blesser la main en la fessant de la sorte, répondit calmement Alexis. Puis-je vous donner le miroir en argent ?

— Ah, mais vous ne répondez pas à ma question, insista la Reine. Apportez-moi ce miroir. Je ne la fesserai pas avec cet instrument. Bien plutôt, j’examinerai le reflet de son visage dans ce miroir, lorsque je la fesserai.

Dans un halo, la Belle vit le Prince Alexis se rendre à la coiffeuse. Puis il fut là, devant elle, appuyé contre un coussin de soie, ce miroir, incliné de sorte qu’elle pouvait y voir distinctement le visage pâle et lisse de la Reine. Les yeux sombres la terrifièrent. Le sourire de la Reine la terrifia.

Mais je ne lui montrerai rien, songea la Belle avec désespoir, fermant les yeux, des larmes roulant sur ses joues.

— Certes, il y a quelque chose de supérieur dans une fessée donnée main ouverte, estima la Reine, qui massait la Belle de la main gauche posée sur sa nuque.

Elle la glissa sous les seins de la Belle, et, les rapprochant, elle toucha leurs deux tétons de ses longs doigts.

— Ne vous ai-je pas fessé de la main avec autant de force que n’importe quel homme, Alexis ?

— Assurément, Votre Majesté, répondit-il doucement.

Il était de nouveau derrière la Belle. Peut-être avait-il pris sa place contre le montant du lit.

— À présent, croisez les doigts dans le creux des reins et gardez-les comme cela, fit la Reine.

Et elle referma la main sur les fesses de la Belle, exactement comme elle avait refermé l’autre main sur les seins de la Belle.

— Et acceptez les ordres que je vous donne, Princesse.

— Oui, Votre Majesté, répondit la Belle avec effort, mais, plus honteuse encore, elle sentit sa voix se briser en sanglots et elle frémit en essayant de les réprimer.

— Allons, montrez-vous plus sereine, coupa sèchement la Reine.

La Reine commença de la fesser. L’une après l’autre, de grandes fessées bien fermes s’abattirent sur ses fesses, et elle ne put se remémorer si le battoir avait été pire. Elle tâcha de rester calme, de rester tranquille, de ne rien montrer, rien, en se répétant ce mot, mais elle se sentit prise de contorsions.

C’était comme ce que Léon avait décrit du Sentier de la Bride abattue ; vous vous débattez sans cesse comme s’il était possible d’échapper au battoir, de se contorsionner pour s’en écarter. Et soudain elle s’entendit crier, haletante, sous les gifles qui la cinglaient. La main de la Reine lui paraissait énorme, dure, et plus lourde que le battoir. La main se modelait sur ses fesses en les frappant, et elle se rendit compte de son état de folie, des larmes et des cris qui l’envahissaient, et tout ceci sous le regard de la Reine, dans ce miroir maudit. Et pourtant elle ne pouvait se retenir.

L’autre main de la Reine lui pinçait les seins, tirait sur les tétons, un à la fois, les relâchait d’un coup sec, puis les étirait à nouveau, tout en continuant de la fesser encore et encore jusqu’à ce que la Belle sanglote.

Elle aurait préféré n’importe quoi plutôt que cela. Traverser la salle en courant, à la pointe du battoir de Sire Grégoire, le Sentier de la Bride abattue, même le Sentier de la Bride abattue valait mieux, car en un sens on pouvait s’y échapper dans le mouvement, alors qu’ici, il n’y avait que la douleur, que les fesses enflammées, mises à nu pour la Reine qui cherchait à présent de nouveaux endroits de son derrière où frapper, qui lui fessait la fesse gauche, puis la droite, lui couvrait les fesses de claques, qui avaient l’air de gonfler et de palpiter au-delà du supportable.

La Reine doit se fatiguer. La Reine doit cesser, se dit la Belle, mais cette pensée lui avait déjà traversé l’esprit quelques instants auparavant, et pourtant cela continuait, les hanches de la Belle se soulevaient et retombaient, et elle se contorsionna sur le côté pour se voir aussitôt récompensée de coups plus sonores, de coups plus rapides, comme si la Reine se faisait encore plus violente. C’était comme lorsque le Prince l’avait frappée avec sa lanière de cuir. Cela devenait plus frénétique.

La Reine la besognait maintenant tout à fait en bas des fesses, cette partie de son corps que Dame Juliana avait relevée du bout de son battoir, et elle la fessa durement et longuement des deux côtés avant de remonter à nouveau, puis de revenir sur le côté, pour ensuite visiter les cuisses de la Belle et revenir tout en bas.

La Belle serra les dents pour réprimer ses cris. Elle ouvrit les yeux, un long regard plaintif et farouche, pour ne voir dans le miroir que le rude profil de la Reine. Les yeux de la Reine étaient plus étroits, sa bouche tordue, et puis tout à coup elle fixa la Belle à travers le miroir, sans cesser de la punir.

Les mains de la Belle rompirent leur posture aux doigts fermement croisés et cherchèrent à couvrir ses fesses, mais la Reine les écarta aussitôt.

— Vous osez ! chuchota-t-elle, et la Belle les croisa de nouveau fermement, sanglotant dans le couvre-lit tandis que la fessée continuait.

Puis la main de la Reine se posa sur la chair à vif.

On eût dit que ses doigts étaient encore froids, et pourtant ils brûlaient. Et la Belle ne pouvait maîtriser ni son souffle éperdu ni ses larmes, et elle n’ouvrait plus les yeux.

— Vous allez me présenter vos excuses pour cette petite entorse à l’étiquette, annonça la Reine.

— Je…, je…, bredouilla la Belle.

— Je suis désolée, ma Reine.

 

— Je suis désolée, ma Reine, murmura la Belle, éperdue. Je ne mérite que votre punition, ma Reine.

— Oui, chuchota la Reine. Et vous l’aurez. Ainsi que tout le reste… (La Reine soupira.) Elle était bonne, n’est-ce pas, Prince Alexis ?

— Elle s’est fort bien conduite, Votre Majesté, à mon avis, mais j’attends votre jugement.

La Reine rit.

Elle fit lever la Belle en la rudoyant.

— Tournez-vous et asseyez-vous sur mes genoux. La Belle était abasourdie. Elle obéit sur-le-champ et se retrouva face au Prince Alexis. Mais à cet instant-là, il ne lui prêtait pas attention. Sous le choc, douloureuse, elle était assise, frissonnante, sur les cuisses de la Reine, la soie fraîche de la robe royale sous ses fesses brûlantes, bercée par le bras gauche de la Reine.

La main droite de Sa Majesté examina ses tétons, et la Belle abaissa le regard, pour découvrir, à travers ses larmes, ces doigts pâles qui tiraient à nouveau sur les bouts de ses seins.

— Je n’avais pas pensé vous trouver si obéissante, dit la Reine, pressant la Belle contre ses seins imposants, la taille de la Belle contre son ventre lisse.

La Belle se sentait minuscule et désemparée, comme si elle n’était rien entre les bras de cette femme, rien qu’une petite chose, un enfant peut-être, non, même pas un enfant.

La voix de la Reine se fit caressante.

— Vous êtes tendre, aussi tendre que me l’avait annoncé Dame Juliana, lui souffla-t-elle doucement à l’oreille.

La Belle se mordit la lèvre.

— Votre Majesté, chuchota-t-elle, mais elle ne savait que dire.

— Mon fils vous a bien entraînée, et vous faites preuve d’une grande sensibilité.

La main de la Reine plongea entre les jambes de la Belle et tâta son sexe qui jamais n’était redevenu ni froid ni sec, même au moment des pires fessées, et la Belle ferma les yeux.

— Ah, allons, pourquoi avez-vous peur de ma main quand elle vous touche si délicatement ?

Et la Reine se baissa et baisa les larmes de la Belle, les goûtant sur ses joues et sur ses paupières.

— Sucre et sel, fit-elle.

La Belle éclata en sanglots. La main entre ses jambes massait la partie la plus humide de sa personne, et elle savait sa figure toute rouge, douleur et plaisir mêlés. Elle était subjuguée.

Sa tête retomba en arrière contre l’épaule de la Reine, sa bouche se relâcha, elle sentit que la Reine lui baisait la gorge, et elle murmura des paroles étranges qui n’étaient pas des paroles adressées à la Reine, mais une sorte de plainte.

— Pauvre petite esclave, fit la Reine, pauvre petite esclave obéissante. Je voulais te renvoyer chez toi pour me défaire de toi, pour défaire mon fils de cette passion pour toi, mon fils qui est à présent sous l’enchantement, comme tu l’étais toi-même naguère, sous l’envoûtement de celle qu’il a délivrée de l’envoûtement, comme si toute la vie n’était qu’une suite d’enchantements. Mais tu es d’un caractère aussi parfait qu’il me l’avait annoncé, aussi parfait que celui d’esclaves plus aguerris, et pourtant il y a en toi plus de fraîcheur, plus de douceur.

La Belle haletait, alors que le plaisir qui sourdait entre ses jambes se répandait en elle, et montait encore et encore. Ses seins gonflés semblaient sur le point d’éclater, et ses fesses, comme toujours, lancinantes au point qu’elle sentait chaque millimètre de sa chair impitoyablement mise à vif.

— Allons, dites-moi, vous ai-je fessée si fort que cela ?

Elle prit la Belle par le menton et lui fit tourner la tête, qu’elle la regarde dans les yeux. Ils étaient grands, noirs et impénétrables. Ses cils étaient incurvés, et on eût dit ses prunelles enchâssées dans une grande enveloppe de verre, tant elles étaient profondes et brillantes.

— Eh bien, répondez-moi, insista la Reine d’un mouvement de ses lèvres rouges, et elle introduisit un doigt dans la bouche de la Belle pour lui retrousser la lèvre supérieure. Répondez-moi.

— C’était… fort… fort, ma Reine…, fit humblement la Belle.

— Certes, oui, peut-être pour ces petites fesses toutes tendres. Mais votre innocence fait sourire le Prince Alexis.

La Belle se retourna comme si on l’en avait priée, mais quand elle croisa le regard du Prince Alexis, elle ne le vit pas sourire. Bien plutôt, il la regardait tout simplement avec une expression des plus étranges. Ce regard était à la fois distant et aimant. Puis il regarda la Reine, sans hâte et sans crainte, et laissa ses lèvres s’élargir en un sourire, ainsi qu’elle semblait le désirer.

Sur ce, la Reine avait de nouveau fait basculer en arrière la tête de la Belle. Elle l’embrassait. Sa chevelure ondulante, imprégnée de parfum, retombait en cascade autour d’elle et, pour la première fois, la Belle sentit la peau blanche et veloutée du visage royal, et les seins royaux qui se pressaient contre elle.

Les hanches de la Belle s’avancèrent, elle se mit à haleter, mais juste avant, cette sensation de pénétration dans son sexe humide et palpitant eut raison d’elle. La Reine la repoussa tout à coup et recula, souriante.

Elle se saisit des cuisses de la Belle. Les jambes de la Belle étaient ouvertes. Et son petit sexe affamé aurait voulu, pour tout l’or du monde, que ses jambes se referment étroitement sur lui.

Le plaisir déclina légèrement, replongé comme il l’était dans la grande cadence du désir.

La Belle gémit, les sourcils noués en un froncement, et la Reine l’écarta d’un coup, lui giflant le visage si violemment que la Belle cria sans pouvoir se retenir.

— Ma Reine, elle est si jeune et si tendre, intervint le Prince Alexis.

— Ne poussez pas ma patience à bout, répliqua la Reine.

La Belle gisait sur le lit, le visage enfoui, et elle pleurait.

— Sonnez plutôt Félix pour qu’il nous amène Dame Juliana. Je sais combien ma petite esclave est jeune et tendre, et tout ce qu’elle doit apprendre, et qu’elle doit être punie pour sa petite désobéissance. Mais cela ne me concerne pas. J’attendrai d’en savoir plus à son sujet, sur son esprit, sur les efforts qu’elle fait pour nous plaire, et… bien, j’ai promis à Dame Juliana.

Peu importait que la Belle pleurât si fort, elles poursuivraient comme si de rien n’était, et le Prince Alexis ne pouvait les en empêcher. La Belle entendit Félix entrer, elle entendit la Reine déambuler dans la pièce, et enfin, couvrant le flot silencieux et régulier des larmes de la Belle, la Reine fit :

— Descendez du lit, et préparez-vous à saluer Dame Juliana.

 

L'initiation
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